Racine, contexte

En 1677, Racine est déjà un auteur à succès.

Lors des premières représentations, la pièce Phèdre fait l’objet d’une « cabale », c’est-à-dire d’un complot orchestré par ceux qui sont jaloux du succès de Racine: la duchesse de Bouillon (qui est par ailleurs mécène de La Fontaine) notamment, qui paye des spectateurs pour huer la pièce. Pradon, un autre auteur, écrit même en hâte une autre version de Phèdre (très mauvaise!), ovationnée par un public aussi payé. Mais rapidement, la pièce de Racine est reconnue à sa juste valeur.

Classicisme et tragédie

XVIIe siècle: deux mouvements littéraires et culturels: classicisme et baroque.

Phèdre est une tragédie classique.

Le classicisme considère que l’Antiquité a atteint la perfection, et qu’il faut la copier: nombreuses réécritures de textes antiques (Racine, La Fontaine revendiquent leur réécriture). Ces auteurs classiques s’appellent aussi les Anciens (d’où la querelle des Anciens et des Modernes, qui, eux, refusent cette réécriture).

Pour écrire Phèdre, Racine copie une version grecque d’Euripide, et une version latine plus tardive, de Sénèque. Il fait des modifications pour respecter la bienséance: ajout du personnage d’Aricie (Hippolyte est homosexuel dans les versions antiques), atténuation (Hippolyte a été accusé de viol sur Phèdre dans l’Antiquité), modification du suicide de Phèdre, qui s’empoisonne (elle se pend ou se poignarde dans l’Antiquité).

Le classicisme considère la tragédie comme le grand genre (alors que la comédie est très méprisée). Elle doit donc obéir à des règles.

LA REGLE DES TROIS UNITES
Ecrite par Aristote dans Poétique (Ve siècle avant JC):
– Unité de temps: intrigue en 24h maximum
– Unité de lieu: tout se déroule au même endroit (même ville par ex.)
– Unité d’action: une seule intrigue
Au XVIIe siècle, Nicolas Boileau dans L’art poétique (écrit entièrement en alexandrins):
– Reprend la règle des trois unités d’Aristote, et ajoute:
– La vraisemblance (rien de surnaturel sur scène)
– La bienséance (rien qui choque le public… tout ce qui a un rapport avec le corps par ex. Ainsi, elle n’interdit pas la mort, mais le sang).

La tragédie doit aussi être écrite en alexandrins réguliers (voir dans la section Méthode à: versification), en 5 actes, mettre en scène des personnages de haut rang, avoir un registre tragique (donc mal finir).

Le classicisme, c’est aussi un sens de la perfection, de la symétrie, une grande rigueur morale.

Jansénisme (fiche minimale et trèèèès simplifiée)

Racine, orphelin très jeune, est élevé à Port-Royal par les Jansénistes.

Le jansénisme est une branche religieuse catholique très austère. Louis XIV les persécutera et fera raser Port-Royal.

Pour les Jansénistes, l’homme est prédestiné, avant même sa naissance, à être élu ou damné. Il ne le sait pas, et doit donc se comporter de façon exemplaire, en particulier si Dieu lui envoie des épreuves à surmonter… Donc si les épreuves sont nombreuses, il faut être reconnaissant, car Dieu s’intéresse à vous, c’est donc que vous êtes peut-être élu.

Donc ce ne sont pas nos actions qui déterminent notre destin (Paradis ou Enfer), mais l’inverse: le fait d’avoir ou non la grâce (c’est-à-dire d’être élu) influence nos actions.

Phèdre a été lue comme une pièce janséniste: Phèdre est vouée au péché et à la mort, car il lui manque la grâce. Le jansénisme ressemble au fonctionnement tragique. D’ailleurs, élevé par les Jansénistes, Racine n’a écrit que des tragédies.

Eléments de mythologie: histoire de Phèdre

*Comme pour toute mythologie, il y a de nombreuses variantes… Ceci est donc une version simplifiée de l’histoire de Phèdre, indispensable pour comprendre la pièce.

  • Vénus, pour se venger du Soleil qui s’est levé exprès en avance pour la surprendre au lit avec son amant Mars (elle est mariée au bossu Vulcain), jette une malédiction sur toute sa descendance: les femmes de sa famille auront des amours catastrophiques. La mère de Phèdre, Pasiphaé, qui descend du Soleil, sera touchée, puis ses deux filles, Ariane et Phèdre: leurs passions sont en fait des malédictions tragiques.
  • Pasiphaé épouse Minos, roi de Crète, mais tombe sous le charme d’un taureau (malédiction de Vénus). Elle accouche du Minotaure, qu’on cache en demandant à Dédale de construire autour de lui un labyrinthe… car le Minotaure mange les gens! Pour en partir, Dédale et son fils Icare se fabriquent des ailes attachées avec de la cire, et s’envolent, mais Icare s’approche trop près du soleil, la cire fond, il tombe dans la mer et meurt.
  • A la suite d’une guerre entre Athènes et la Crète gagnée par la Crète, Athènes doit envoyer des jeunes se faire manger dans le labyrinthe. Thésée, fils du roi Egée, se mêle à eux pour aller tuer le Minotaure.
  • A son arrivée en Crète, Ariane, fille de Minos et Pasiphaé (et soeur de Phèdre) tombe amoureuse de Thésée (malédiction). Il tue le Minotaure, et, grâce au fil qu’elle tient, ressort du labyrinthe. Elle repart avec lui, mais il l’abandonne sur l’île de Naxos, où elle meurt. Thésée laisse la voile noire sur son bateau, et Egée en la voyant, croit qu’il est mort et se jette dans la mer… qui devient la mer Egée.
  • Thésée devient roi d’Athènes, et fait venir Phèdre, la soeur d’Ariane, pour se marier. Mais à son arrivée, elle aperçoit Hippolyte, issu d’une ancienne relation entre Thésée et Antiope, la reine des Amazones, et en tombe amoureuse (malédiction). Elle éloigne Hippolyte en l’exilant à Trézène. Mais devenu jeune homme, il revient…
  • Au moment où la pièce commence, on en est là. Thésée a disparu (en réalité il est aux Enfers pour aider un ami à enlever Proserpine), mais finalement il reviendra dans l’acte III.

La préface écrite par Racine

Toutes les citations qui suivent (en caractères gras) sont tirées de la préface de la pièce, écrite par Racine pour s’expliquer et répondre aux attaques.

Racine revendique dès la première phrase l’imitation de l’antiquité, car c’est un auteur classique. Cependant, il ne parle que de la source grecque, plus prestigieuse. Il ne mentionne pas Sénèque (latin et plus tardif), qu’il a aussi imité.

« Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. »

Pour lui, Euripide est un bon auteur, car il suit bien les recommandations d’Aristote. Phèdre chez Racine les suit donc aussi : Aristote précise que pour faire un bon héros de tragédie, il doit n’être « ni tout à fait coupable » (sinon le spectateur n’a pas pitié de lui), « ni tout à fait innocent » (sinon le spectateur n’est pas terrifié) : c’est ce mélange qui produit la catharsis.

« il a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. »

Il rappelle que Phèdre est victime d’une malédiction :

« son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté. »

Il tente de justifier les modifications qu’il a faites, par exemple le fait que ce soit Oenone qui calomnie Hippolyte, et non Phèdre elle-même :

« J’ai même pris soin de la rendre un peu moins odieuse qu’elle n’est dans les tragédies des Anciens, où elle se résout d’elle−même à accuser Hippolyte. J’ai cru que la calomnie avait quelque chose de trop bas et de trop noir pour la mettre dans la bouche d’une princesse qui a d’ailleurs des sentiments si nobles et si vertueux. Cette bassesse m’a paru plus convenable à une nourrice »

Il justifie aussi l’ajout d’Aricie, absente chez Euripide :

« Cette Aricie n’est point un personnage de mon invention. Virgile dit qu’Hippolyte l’épousa, et en eut un fils, après qu’Esculape l’eut ressuscité. »

Et il dit avoir bien suivi les sources antiques :

« J’ai même suivi l’histoire de Thésée, telle qu’elle est dans Plutarque. »

Enfin, il défend le caractère moral de sa pièce, car le personnage de Phèdre peut choquer :

«  Les moindres fautes y sont sévèrement punies ; la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même »

Publicité